Menu Fermer

L’enfant précieux


Chapitre 21, Le sutra des saints et des ignorants (Damamukanidanasutra)

Ainsi ai-je entendu. Le Bouddha était alors à Savatthi, où vivait également un homme richissime. Ce dernier était très soucieux de n’avoir pas encore de descendant.

Aussi se rendait-il souvent au temple pour prier les dieux de lui permettre d’avoir un enfant, et l’on pouvait reconnaître dans ses prières la plus grande sincérité. Peu après sa femme tomba enceinte et accoucha du plus bel enfant du monde. Le bonheur des parents fut tel qu’ils organisèrent au bord de la rivière une grande cérémonie pour célébrer cette naissance. Les invités y burent de l’alcool et ne dissimulèrent pas la joie que leur inspirait cette célébration. Le père leur présenta alors son fils, puis il se mit à danser avec lui dans les bras. La mère l’imita ensuite, et finalement tous les invités firent de même, prenant à tour de rôle l’enfant dans leurs bras. Mais l’un des invités fit un geste maladroit, si bien que l’enfant tomba dans la rivière. Aussitôt les parents se jettent dans l’eau pour le sauver. Le courant cependant est si fort qu’ils ne parviennent pas à l’attraper.

La fête se mua alors en un bien triste événement, en sorte que le père et la mère de l’enfant finirent par s’évanouir. Mais l’enfant, qui avait de grands mérites, ne mourut pas : en effet, il savait naturellement nager, comme c’est le cas de tous les nouveau-nés. Cependant un immense poisson l’engloutit dans sa gueule, sans le tuer pour autant. Or, une famille très riche elle aussi vivait au bord d’une rivière et n’avait pas eu davantage la joie, jusque-là, d’être parents. Eux aussi priaient les dieux de leur accorder le bonheur d’avoir un enfant. Un jour, l’un des esclaves de cette maison, alors qu’il allait ramasser son filet pour le poisson, y trouva prisonnière une énorme créature. Bientôt il découvrit le magnifique petit garçon que le poisson avait retenu dans son ventre énorme. L’esclave le ramena à son maître, qui se persuada que c’était là la réponse des dieux célestes.

« La sincérité de nos prières a ému les dieux célestes, et ils nous ont accordé leurs faveurs en nous accordant ce magnifique enfant », se dit-il.

A partir de ce jour, ils firent appel aux services d’une nourrice. Mais, lorsque les géniteurs du nouveau-né apprirent qu’il avait été récupéré par un couple sans enfant, ils se rendirent chez lui et reconnurent leur fils. Aussitôt ils demandèrent au couple de le leur rendre.

« Ce sont les dieux célestes qui nous ont apporté cet enfant, leur objecta-t-on. Cette affaire ne vous concerne donc pas. »

Ainsi incapables de résoudre ce différend, ils demandèrent au roi de le faire pour eux.

« Si vous reconnaissez tous les quatre que cet enfant est le vôtre, je ne peux déterminer qui de vous est dans son droit. En revanche, vous pouvez fort bien l’élever tous ensemble, et lui demander de se marier à deux reprises. Chacune de ses deux épouses sera rattachée à l’une des deux familles. Les enfants qui naitront ensuite de chacune de ces deux épouses appartiendront à la famille dans laquelle se trouvera l’épouse, et prendront le nom de cette famille. Et pour ce qui est de cet enfant qui vous divise aujourd’hui, il vivra en alternance avec tel couple, puis avec tel autre pour des durées équivalentes. »

Quelques années passèrent et chaque couple trouva une épouse à accorder au jeune homme, et lui apporta tout ce qui pouvait être nécessaire à son bonheur. Mais un jour il dit à ses parents :

« La vie est remplie de souffrances : à ma naissance, j’ai manqué de me noyer et de me faire avaler par un poisson. On m’a sauvé de la mort en ouvrant les entrailles d’un poisson. A présent je souhaiterais devenir moine, mais j’ai besoin de votre accord. »

Les parents  n’ayant vu aucune objection à ce projet, le jeune homme se rendit auprès du Bouddha Sakyamuni.

« Viens, sage bhikkhu », lui dit le Bouddha.

Ainsi devint-il moine, et ses cheveux aussitôt tombèrent d’eux-mêmes. Le Bouddha lui donna le nom bouddhiste de « double nom de famille », puis lui expliqua l’enseignement, et après qu’il eut terminé de parler, le jeune homme devint un grand arhat.

« Quel bon karma ce bhikkhu avait-il pour ne pas mourir dans l’eau et survivre au poisson qui l’avait englouti ? demanda Ananda.

– Ananda, il y a très longtemps vivait sur terre le Bouddha Vapasyin. Il enseigna beaucoup, et nombreux furent ceux qui l’écoutèrent. Parmi ses auditeurs figurait un homme riche qui prit refuge auprès du Bouddha, ainsi que le premier précepte, qui consiste à ne pas tuer. Il lui offrit ensuite une pièce d’or. Cela lui permit de ne rencontrer aucune difficulté financière durant quatre-vingt-onze kalpas. Aujourd’hui encore deux familles lui fournissent ce dont il a besoin. Et puisque, par surcroît, il a pris le précepte de ne pas tuer, il lui est difficile à lui-même d’être tué. Enfin, ayant pris les trois refuges, il est parvenu à nettoyer un certain nombre de karmas fort anciens et à devenir un grand arhat. »

Quand le Bouddha eut fini de parler, tous ses disciples éprouvèrent une vive joie et promirent de persévérer dans leur pratique avec la persévérance requise.