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Si tu ne m’aimes pas, je t’aime, et si je t’aime, prends garde à toi!

  1. Nul ne peut réduire à soi la liberté de l’autre

Certaines personnes m’avaient interrogé, il y a quelques années, sur ce que dit le bouddhisme du sentiment amoureux.


Pour être tout à fait honnête, si j’ai déjà vécu moi-même quelques aventures amoureuses, je me faisais systématiquement éconduire par les demoiselles que je convoitais. J’ai même divorcé un peu plus tard, si bien que les gens ordinaires pensaient que j’étais un perdant. Qui plus est, mon père me reprochait que, non content d’être un perdant aux yeux du monde, j’en demeurais encore satisfait. C’est pourquoi je ris de voir venir auprès de moi des gens qui souhaitent recueillir mes conseils au sujet des relations amoureuses. Et mon amusement se poursuit alors que j’écris cette petite histoire ! Ah ! Ah ! Ah !

Je pratique le bouddhisme et je reconnais que j’en suis un grand débutant, en sorte que je ne vous en voudrais pas le moins du monde si vous ne partagez pas mon point de vue ! Et puis, je n’ai nulle intention de fomenter quelque débat entre nous !

Nous disons souvent d’un couple que ses membres peuvent devenir des ennemis, et si l’amour ne grandit pas ni ne s’entretient, ce qui était merveilleux au début de la relation peut devenir source de haine. Ces conflits qui habitent le cœur des hommes me rappellent les paroles de l’opéra fameux de Bizet, Carmen, en particulier L’Amour est un oiseau rebelle : « si tu ne m’aimes pas, je t’aime, et si je t’aime, prends garde à toi. » Ces vers illustrent fort bien les différends qui parfois peuvent surgir dans un couple. Si je t’aime, mais que tu ne veuilles pas de moi, je risque de te tuer. En l’occurrence, Carmen est une gitane dont est violemment épris Don José. Carmen, qui ne craint points les menaces de l’amoureux transi, lui rappelle qu’il n’aura jamais sa liberté. Don José, sous le poids terrible de ses émotions, en viendra alors, lors d’une fin des plus tragiques, à tuer l’héroïne. Nous sommes bien loin des scénarii des films américains qui s’achèvent toujours dans une joie collective, mais que nous oublions très vite ! Une œuvre dont la fin s’achève dans le sang et les larmes nous permet souvent de la garder plus longtemps en mémoire. Si nous prenons l’exemple célébrissime de Roméo et Juliette, qui s’achève par la mort des amants maudits, nous ne pouvons oublier cette fin tragique, car nous sommes dans le regret que le conflit qui les animait n’ait pas trouvé d’issue heureuse. En vérité, les choses nous sont très précieuses lorsque nous les désirons, et d’une grande banalité lorsque nous les avons eues. Il me revient en mémoire qu’André Gide taxait d’illusion la communication par courrier, parce que chacun n’écrit ses lettres en définitive que pour lui-même. Je t’aime plus fort à mesure que tu t’éloignes de moi, semblent dire les amants que sépare une plus grande distance. L’être humain est ainsi fait que son désir d’avoir certaines choses grandit à mesure qu’il ne les obtient pas, et qu’il ne trouve aucune véritable satisfaction de les avoir obtenues. Celui qui veut séduire une fille, dit substantiellement un dicton chinois, doit éviter d’être trop importun et prendre parfois ses distances, car il lui sera alors d’autant plus désirable qu’il ne cèdera pas à toutes les volontés de celle qu’il aime.

  1. L’âne incontrôlable

Il a un an à peu près, mon fils partit dans une ferme pour y réaliser un stage. Lorsque je l’y eus récupéré, il me raconta une histoire désopilante qui lui était arrivée. Il avait remarqué au début de son stage la présence dans la ferme d’un âne. Un jour, un jeune agriculteur avait mis l’animal à contribution pour qu’il l’aidât à retourner la terre. Mais au lieu de cela, l’animal secoua sa tête, voulant éviter de recevoir une bricole, et s’enfuit à toutes pattes hors même de la ferme. Ce fut alors une scène très cocasse : le jeune homme accompagné de mon fils entreprirent de lui courir après, jusqu’à ce que, rompus de fatigue, ils fissent une halte. L’équidé à ce moment-là interrompit également sa course. Pour lui, la règle était fort simple : si on lui courait après, il galopait aussi, et si la poursuite cessait, il s’arrêtait. L’agriculteur finit, gagné de lassitude, par indiquer à mon fils qu’il fallait rentrer et qu’il n’avait plus que faire de cette maudite bête. Mais, au moment qu’ils retournèrent à la ferme, alors qu’ils avaient passé la moitié de la journée à tenter de le récupérer, ils s’aperçurent que l’animal était à proximité d’eux, et lorsqu’ils eurent rouvert la porte de la ferme, il se décida triomphalement à regagner son écurie. Finalement, l’agriculteur fut en mesure de lui fixer la bricole, et l’animal accomplit finalement la tâche qui lui incombait.

Cette histoire me fit beaucoup rire. L’âne, en somme, est pareil à l’homme et pourrait revendiquer les paroles de Carmen : « si tu m’aimes, je ne t’aime pas, si tu ne m’aimes pas, je reviendrai. »

  1. L’enfant Chang

Dans un dialecte taïwanais, on utilise le verbe chang pour désigner un enfant qui n’a pas atteint l’objectif qu’il s’était fixé et qui s’en plaint. Nous utiliserons quant à nous ce mot pour nommer l’enfant dont nous allons parler.

Une amie venait de divorcer. Il avait été décidé qu’elle aurait la garde de sa fille, alors que son ex-mari aurait celle de leur fils, qui cependant pouvait visiter sa mère tous les week-ends. Elle vint un certain jour avec ses deux enfants partager au restaurant un repas avec mes fils et moi-même. Le petit garçon de mon amie était assis en face de moi, et je l’aidais à manger. Il manifestait au reste beaucoup de joie et riait avec moi. Pourtant, lorsqu’il vit sa mère nourrir sa jeune sœur cuiller après cuiller, le garçonnet se mit à pleurer et marmonna qu’il voulait sa maman. Il ne manqua alors évidemment pas d’aller déranger sa mère et de lui demander de le nourrir lui aussi. Mais la pauvre femme était déjà fort occupée à remplir l’estomac de son enfant, en sorte qu’elle ne savait plus comment en même temps s’affairer à nourrir son fils. Ce fut alors qu’un garçon qui devait avoir sensiblement le même âge que lui s’approche de notre table et l’invita à venir jouer avec lui à la toupie. Cela suffit à lui rendre le sourire ! Je compris la situation et songeai : il est bien mignon, notre petit enfant chang !

Il me souvient, en racontant cette anecdote, un reportage qui évoquait l’histoire d’une femme aisée, Marie[1], atteinte d’une forme passagère de cleptomanie et qui avait coutume de voler dans les magasins. Ses parents, nous apprenait-on, avaient divorcé alors qu’elle était encore une enfant. Elle s’était mise en tête alors que sa mère, Josiane[2], n’avait jamais voulu d’elle. Il n’en était rien cependant, et si Marie avait longtemps perdu le contact avec sa mère, cette dernière n’avait jamais cessé pourtant de rechercher sa fille. Après que Josiane eut fini par la retrouver, elle s’installa à côté de chez Marie, en voisine. Mais, craignant la réaction de sa fille, elle se fit auprès d’elle passer pour une amie, jusqu’au jour où, la recevant chez elle, Marie découvrit un album dans lequel figurait une photo d’elle, dans les bras de Josiane. Elle comprit que cette voisine qu’elle affectionnait beaucoup était finalement sa mère.

Ce choc eut pour conséquence de déclencher chez Marie une cleptomanie. Ni la police, ni ses amis ne parvenaient à comprendre la cause de cet étrange comportement. Elle-même ne se l’expliquait pas. Cette manie du vol cessa pourtant dès le jour où Josiane et Marie se furent réconciliées. De fait, Marie avait cédé à la cleptomanie dans le seul but que sa mère lui accordât son attention. Marie elle aussi était une enfant chang.

  1. Cet ego qui pose tant de problèmes…

Les relations humaines sont très compliquées, mais quelle en est la cause ? C’est à cette question que nous allons répondre. Dans le onzième tome du Saṃyukta Āgama, le Bouddha expliqua à son disciple Purna les choses suivantes :

« Purna, d’où viennent ces problèmes ? En vérité, tout vient de notre ego. Tous les problèmes que rencontrent les êtres sensibles viennent de leur attachement à leur ego. Cet attachement multiplie, accroît nos souffrances et peu à peu nous détruit. Il est source également de nos joies. Pourtant les êtres ne sont pas conscients de leur attachement envers leur ego. De même que, méconnaissant les lois qui sous-tendent le cycle des réincarnations, les êtres avancent aveuglément d’une existence à l’autre, de même ils ignorent comment fonctionne leur ego et, ainsi perdus dans leur ignorance, font n’importe quoi. Cette ignorance ressemble à un nœud qu’on ne parviendrait pas à dénouer, faute de pouvoir déterminer par où faire passer l’embout de la corde. […]

Chaque vie successive est comme un courant qui s’écoule sans discontinuer : les êtres sensibles ignorants jamais ne parviennent à s’extraire du cycle des réincarnations. »

Dans les commentaires des préceptes donnés aux bodhisattvas et écrits par le maître bouddhiste Xiao Ping-Shi, en particulier dans le troisième livre, il est dit que l’orgueil, c’est-à-dire l’attachement au moi, est la racine de tous les soucis. Nous naissons avec lui. C’est lui qui nous pousse à nous comparer aux autres et nous le rend si important. L’orgueil vient de ce que nous nous attachons à ce moi.

Nous avons évoqué plus haut l’opéra Carmen. Carmen est une gitane qui aime jouer avec les sentiments des hommes et qui, lorsqu’elle parvient à les manipuler, voit naître en elle un sentiment de supériorité. Il suffit de se reporter au personnage de José qui, convoitant la jeune femme qui avait exigé qu’il abandonnât sa compagne s’il voulait être avec elle, se vit abandonné très vite à son tour par Carmen. L’excessif attachement de la jeune femme à son moi la rendait ainsi fort vaniteuse. Quant à José, c’était également son moi qui posait problème : il refusait de croire en effet que Carmen pût le délaisser aussi vite. Le jeune homme avait besoin de se sentir aimé parce que son ego lui faisait éprouver cette sensation. Le fait que Carmen se fût détournée de lui n’empêcha pas son attachement à son moi de rester aussi vigoureux : son ego n’acceptait pas cet échec. Comme le dit Carmen : « si je t’aime, prends garde à toi », ce qui signifie en d’autres termes : j’ai besoin de ressentir cette magnifique sensation que tu m’aimeras indéfiniment. D’ailleurs, en vérité, c’est moi que j’aime à travers toi. Aimer et détester ne sont finalement pas différents l’un de l’autre, car dans les deux cas, nous trouvons un fort attachement à soi, lequel est source de tous les problèmes.

Intéressons-nous désormais à notre âne. Lorsque l’agriculteur en eut assez de lui courir après, je vous assure que l’équidé en dut éprouver une grande déception. Ce fut pour cette raison qu’il tourna la tête et que, voyant l’homme rentrant à la ferme d’un pas las, se mit à son tour à le poursuivre. Après qu’il fut rentré dans l’étable et que l’agriculteur l’eut équipé, il éprouva certainement alors la fierté de se sentir indispensable au fermier. L’ego de l’âne était pour lui une source de soucis. En effet, parce qu’il s’était senti important en sa qualité d’âne, il risque de vouloir le rester dans sa vie future. L’âne se laissait désirer, souhaitait être important. Or, cet attachement au fait d’être considéré comme important nous incite à rechercher, dans une vie future, ce même plaisir égoïste. Aussi, dirais-je à l’âne : « veux-tu encore être un âne dans ta vie prochaine ? »

Chez les enfants chang à présent, c’est encore l’go qui pose souci, et si nous voulions résumer à une phrase leur situation, nous dirions : « comment maman peut-elle donc m’ignorer ? » Pour pouvoir attirer sur eux l’attention de leur mère, ils en viennent à se comporter d’une manière souvent étrange. Quand des enfants chang en viennent à adopter des comportements troubles, au lieu de les critiquer sévèrement, accordez-lui un long câlin et dites-lui que vous l’aimez ! Son comportement alors s’en trouvera radicalement changé.

Cet ego qui génère tant d’inquiétudes n’est pas conscient lui-même de tous ces problèmes qu’il nous occasionne. Le bouddhisme nous affirme par ailleurs que c’est lui qui nous contraint à la réincarnation. Cet ego, vraiment, c’est une source d’emmerdes !

Je souhaiterais à présent partager le passage du discours tenu par un maître bouddhiste : « Le pratiquant doit considérer chacun avec une grande compassion. Il nous faut traiter chaque personne de la même manière que nous traitons les autres. Si l’on vous diffame ou que l’on vous injurie, soyez heureux car, en vérité, vous ne perdez rien. Ignorez ces personnes, rien de plus. D’un autre côté, demandez-vous si vous-mêmes vous diffamez ou injuriez autrui. Ne vous abandonnez pas à la colère ou à la haine. Ainsi les obstacles de votre existence disparaîtront-ils peu à peu. Celui qui répond à l’attaque par l’attaque et à la colère par la colère est conduit par la volonté de son ego. Il ne connaît jamais la tranquillité et s’éloigne du chemin de la pratique. Soyez très vigilants sur ces questions, car c’est en veillant à agir ainsi avec bienveillance que vous finirez par dissiper tous les soucis de votre existence. »

Je souhaite avant d’achever cette réflexion vous signaler que l’égalité qu’évoque le maître bouddhiste n’est pas celle que peut concevoir notre conscience mentale. Si elle était liée à la conscience mentale, nous resterions encore dans l’ego, qui se louerait de croire qu’il peut considérer toutes personnes de la même façon. Ce genre de pensées renverrait donc notre ego à sa propre satisfaction. La sagesse du Bouddha consiste à être sorti de la souffrance et du cycle des réincarnations. Le seul fait de ne pas s’attacher à quelque chose est donc bien loin de la libération proprement dite. Je vous invite à méditer sur ce sujet. Si vous souhaitez apprendre le bouddhisme, je vous recommande de venir travailler à nos côtés. Ainsi se termine ce petit recueil d’histoires. J’espère ne vous avoir pas trop ennuyé ! Amitofo.

[1] Nom emprunté.

[2] Nom emprunté.