Dans le bouddhisme nous disons que toutes les conséquences sont le résultat de causes et de conditions nécessaires. Il parait donc que tout ce qui se réalise, est déjà prédéterminé. Mais dans ce cas pouvons-nous penser et agir librement, existe-t-il un libre arbitre? C’est une très bonne question que beaucoup de gens se posent et dont la réponse n’est pas facile.
Dans le Dirgha Agama sutra le Bouddha explique qu’il existe deux problèmes qui sont difficiles à résoudre: « Puisqu’il y a des causes et des conditions, l’être sensible peut avoir des pensées souillées. Et puisqu’il y a des causes et des conditions, l’être sensible peut avoir des pensées pures. » Cela veut dire que les causes et les conditions étant prédéfinies, nos fruits karmiques sont déjà fixés. Comment peut-on arriver à une pensée pure dans ce cas-là ? Et pourquoi certaines gens n’arrivent-elles pas à se libérer des pensées souillées? Cela est vraiment une question très difficile et même la science actuelle peine à définir clairement la nature humaine et se satisfait d’un grand nombre d’hypothèses.
Par exemple, les neuroscientifiques qui s’emploient toujours à comprendre la cognition humaine, ont découvert qu’elle dépend fortement de la structure de notre cerveau. Autrement dit, notre façon de penser est tributaire de l’organisation physique de notre cerveau et, donc, de la matière.
Si notre mental est, pour ainsi dire, limité par notre cerveau, pouvons-nous encore prétendre avoir la liberté de penser, avoir ce fameux libre arbitre? Notre perception est vraiment contrôlée par la structure physique du cerveau, par la matière. A titre d’exemple, certaines personnes qui sont à la recherche du bonheur, consomment de la drogue et ont en conséquence la sensation d’être ailleurs. Les drogues peuvent créer des états d’illusion dans lesquels l’être se sent merveilleusement bien au moins tant que la drogue fait son effet. Il en découle que notre mental dépend fortement des substances que nous pouvons consommer et il est donc vraiment sous l’emprise de la matière physique. Alors pouvons-nous encore parler de libre arbitre? On peut dire que si notre conscience mentale est tellement influencée par la matière, cela revient à dire qu’elle n’est pas réelle, qu’elle n’est qu’une illusion et par conséquent, qu’elle n’est pas notre vrai moi.
Regardons à présent ce qu’en disent les neuroscientifiques et plus concrètement, concentrons-nous sur un article publié dans le numéro 464 du World Magazine où nous lisons que « ces dernières années, les neuroscientifiques ont découvert que la liberté de penser est une parfaite illusion. Cinq cents millisecondes avant une prise de décision, le cerveau de la personne est déjà activé. Mais ce n’est que deux cents millisecondes avant l’acte que notre conscience mentale s’en rend compte. Nous nous croyons maitres de notre comportement, mais, en réalité, nous sommes tributaires de notre cerveau ». Autrement dit, l’exécution d’un geste est d’abord initiée par notre cerveau et ce n’est qu’ensuite que nous prenons conscience de notre volonté d’effectuer ce geste, et que nous le faisons. Ceci met fortement en doute l’existence d’un libre arbitre, c’est-à-dire de la faculté de la conscience mentale de prendre des décisions indépendantes. Les scientifiques sont donc arrivés naturellement à l’idée que le libre arbitre n’est qu’une illusion, que nous ne sommes pas réellement maîtres de notre comportement et que ce dernier dépend du cerveau et donc de la matière.
Quel est le point de vue bouddhiste sur tout cela? Dans le bouddhisme il est dit que notre cerveau appartient à l’agrégat de la forme, ce qui signifie qu’il est matériel. Cependant d’après le bouddhisme, nous sommes constitués de matière, mais aussi de mental et par conséquent, il faut ajouter encore quatre agrégats: le ressenti, la compréhension, le processus et les sept premières consciences. L’être humain a besoin que ces cinq agrégats fonctionnent ensemble. Il en découle que la matière et le mental sont interdépendants et que tous les phénomènes sont composés de matière et de mental. Mais aucun de ces deux composants n’est durable ou permanent et, pour cette raison, dans le bouddhisme, il est dit qu’il n’y a pas d’existence de moi.
D’après ce que nous avons cité plus haut, nous voyons que les scientifiques sont arrivés plus au moins aux mêmes conclusions. Il est possible cependant d’avoir une vision erronée en ne se basant que sur leurs résultats et de se dire que finalement la vie n’est qu’un jeu de probabilité. Il est aisé de penser que si l’action dépend de l’activation du cerveau qui intervient bien avant que la conscience mentale s’active à son tour, cette activation du cerveau n’est qu’un produit du hasard. Ainsi, tout le comportement humain serait régi par les lois de la probabilité. Si on pousse à l’absurde ce raisonnement on peut penser que même le fait que le Bouddha a atteint la bouddhéité, est dû au hasard: tout serait donc aléatoire. Tout cela est évidemment faux, une vision erronée dont nous devons nous libérer. L’homme est, en effet, composé de matière et de mental, mais derrière il y a une chose qui est éternelle et qui s’appelle la huitième conscience ou tathagatagarbha. C’est grâce à cette huitième conscience qu’existe le monde matériel, notre corps physique, notre pensée, nos cinq agrégats – ils sont tous des manifestations de notre tathagatagarbha.
Les scientifiques ne savent pas pourquoi et comment le cerveau est activé avant même qu’on en ait conscience, avant même que notre conscience mentale soit activée. Dans le bouddhisme il est dit que celui qui prend la décision d’activer le cerveau est le manas, ou la septième conscience. C’est lui qui prend toutes les décisions et ce n’est qu’ensuite que la conscience mentale est créée et que l’action est effectuée. Du point de vue bouddhiste cela veut dire que parmi ces phénomènes il n’y a rien qui soit vraiment moi et que tout est impermanent.
Et cette impermanence est une sorte de souffrance. La matière est impermanente, les quatre agrégats du mental sont impermanents, en somme, tous les cinq agrégats sont impermanents, sans moi et ils sont donc source de souffrance. Telle est notre vie – que nous soyons des humains ou des animaux – impermanente et sans moi.
Mais existe-t-il un moi quand même? Oui, et c’est cette huitième conscience, le tathagatagarbha qui est le vrai moi. Il est éternel et c’est grâce à lui que l’on peut naitre dans le monde. C’est lui qui crée les cinq agrégats de chacun de nous, même si à cause de sa nature il est très difficile d’être perçu par les gens. Et de ce point de vue, existe-t-il le libre arbitre, et qu’est-ce exactement que le libre arbitre?
La réponse est oui. Dans le Saṃyuttāgama sutra le Bouddha a expliqué que puisque la forme n’est pas toujours une source de souffrance, on peut aimer une chose, ce qui mène à l’attachement à cette chose et, une fois attachés, nous n’arrivons plus à nous en libérer. Cet attachement est à l’origine des pensées souillées, et les autres agrégats fonctionnent d’une manière identique. Ceci est possible parce qu’aucun agrégat n’est en soi une source permanente de souffrance. Voilà pourquoi dans le sutra il est dit que s’il y a des causes et des conditions cela peut mener à des pensées souillées.
De même, le Bouddha a expliqué que comme la forme n’est pas toujours une source de joie, les gens peuvent se lasser des objets de la forme, s’éloigner de l’attachement à ces objets pour éviter d’avoir de la souffrance. De cette manière la personne pourra vraiment se libérer de la forme et par conséquent, il existe des causes et des conditions nécessaires pour pouvoir avoir des pensées pures.
Une autre chose que j’ai envie de vous expliquer est que lorsque nous sommes joyeux, nous nous attachons et nous ne voulons pas nous arrêter : nous avons envie de revivre cette joie encore et encore. C’est cela qui crée le cycle des réincarnations. C’est de cette manière que fonctionne notre tathagatagarbha. Si nous sommes attachés à nos cinq agrégats, alors tathagatagarbha les fera apparaitre vie après vie. Il ne faut donc pas oublier que ce corps physique est une forme matérielle et n’est pas uniquement une source de bonheur. En effet, il est accompagné par la souffrance parce qu’un jour nous serons malades et nous décèderons. Nous quitterons alors notre famille et nous aurons peur de ce qui nous attend après notre mort. C’est la raison pour laquelle nous disons que notre corps et notre mental ne sont pas toujours joyeux et qu’ils sont accompagnés par la souffrance. Il y a des gens qui, en comprenant cela, aimeraient bien se défaire des attachements – à la forme afin de se libérer. Et c’est exactement pareil pour les quatre autres agrégats, c’est-à-dire tout ce qui touche au mental.
Enfin, qu’est-ce que le libre arbitre? En réalité, nous pouvons prendre une décision mais elle contiendra de la souffrance et de la joie. Et voudrons-nous nous attacher à cette joie mélangée de souffrance? Ou en voyant que la joie n’est pas séparée de la souffrance, laisserons-nous tomber notre attachement? Par exemple, dans la vie la réputation, la richesse et le pouvoir apportent beaucoup de joie mais aussi de la souffrance. Est-ce que nous pouvons choisir sur quelle base prendre nos décisions? Oui, bien sûr, et c’est le vrai libre arbitre : notre choix entre attachement et détachement, entre ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Ce choix est néanmoins limité parce qu’il se fait à partir de notre perception et des possibilités dont nous disposons. Par exemple, pendant sa vie l’être sensible peut utiliser sa conscience mentale pour décider s’il veut semer des bons karmas ou des mauvais karmas, mais après sa mort sa conscience mentale aura une capacité très limitée et les choix seront très restreints – le libre arbitre ne sera pas très libre!
Ainsi, si nous sommes nés dans une famille pauvre, nous aurons peu de choix concernant notre nourriture ou notre éducation et il y aura beaucoup de choses que nous ne pourrons tout simplement pas nous permettre. C’est pareil avec les animaux: ils sont limités par les circonstances car ils ne pourront jamais, quoiqu’ils fassent, atteindre le même niveau de réflexion qu’un être humain. Leurs choix s’en verront très limités aussi. Par conséquent, nous pouvons dire que la liberté de faire des choix varie et que chacun est libre dans les limites qui lui sont propres. Si nous voulons augmenter notre liberté et profiter d’un vrai libre arbitre, il nous faut donc semer beaucoup de bonnes graines karmiques pour que, dans la prochaine vie, nous ayons de meilleures conditions et plus de choix. Et dans cette vie même, si nous ne sommes pas libres par rapport aux circonstances, nous pouvons quand même avoir une pensée libre.
On s’arrête ici, merci beaucoup, AMITOFO!