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(Jataka)
Il y a si longtemps que peu de mémoires s’en souviennent, un roi eut un fils remarquablement doué et rempli de sagesse. Il avait même, au premier jour de sa vie, une connaissance précise de ses vies antérieures. Cependant, lorsqu’il entra dans sa treizième année, il s’enferma dans un long mutisme et dans une profonde méditation, à tel point qu’il paraissait comme mort. Le roi et la reine furent naturellement très inquiets de cet état végétatif et firent venir un médium afin de déterminer ce qui arrivait au prince. L’homme cependant ne comprit rien à ce qui se passait et, plutôt que de reconnaître son ignorance, jugea plus opportun d’inventer une explication :
« Ô roi, bien que ce prince soit fort intelligent, il représente pour votre royaume un danger, dit-il, et dans la mesure où il est aujourd’hui incapable de parler ou de se mouvoir, je vous invite à l’enterrer vif. Ainsi préserverez-vous la paix du royaume. »
La réponse du médium ayant mis le doute dans l’esprit du roi, celui-ci convoqua ses ministres et son épouse afin d’éclaircir cette troublante situation. Décision fut prise alors de se rendre dans la montagne le lendemain afin d’y mettre en terre le prince. La reine, désespérée par cette terrible résolution, dut cependant s’y plier et chercha des vêtements et divers objets précieux qu’elle pourrait déposer dans la tombe de son enfant.
Mais une chose étonnante survint alors que le cortège royal se rendait dans les hauteurs de la montagne : le prince sortit de sa méditation et prononça quelques mots :
« Je sais que chacun d’entre vous avait cru que j’étais comme mort et qu’il fallait me mettre en terre. En vérité, j’étais dans un état de méditation profond, occupé à purifier mes mauvais karmas. Mais je me rends bien compte que le fait de me taire pourrait nuire à davantage de personnes que le fait de vous parler et de me mouvoir : aussi suis-je sorti de mon état. »
Le prince se rendit alors à la rivière, s’y lava, se couvrit des vêtements que sa mère avait pris pour lui, et marcha jusqu’à l’emplacement où il devait être mis en terre. Il y trouva des ouvriers et leur demanda ce qu’ils faisaient.
« Notre prince est dans un état végétatif, et nous avons reçu l’ordre de l’enterrer ici. Le roi et la reine, dit-on, espèrent cependant avoir un second enfant.
– Détrompez-vous, répondit le prince, le prince n’est nullement dans l’état que vous décrivez : voyez, je suis le prince lui-même. »
Il fallut un moment avant que le prince ne convainquît les ouvriers qu’il était bien ce qu’il prétendait être. En tout état de cause, ce « réveil » du prince mit le royaume en liesse. Un peu plus tard, il fit savoir à son père qu’il avait été lui-même un roi dans sa vie passée, et qu’à cette époque bénie son peuple vivait dans une grande harmonie :
« Apprends que dans mon royaume il n’y avait point de colère, et que les prisons y étaient presque vides. Sa réputation était telle que les habitants des peuples voisins eux-mêmes désiraient y vivre. Un jour que j’accueillis de nombreux étrangers, un immense repas fut organisé. Les cuisiniers me demandèrent s’il fallait tuer des animaux à l’occasion de ces victuailles. Je leur répondis qu’il était préférable en effet que les gens puissent manger de la viande, de crainte que, ne leur offrant qu’un repas végétarien, nous soyons accusés d’être trop avaricieux. Mais, à cause de cette malheureuse initiative, je fus, à ma mort, précipité durant un temps infini dans les trois chemins inférieurs de la réincarnation, où je vécus de nombreuses souffrances, étant tué maintes fois pour pouvoir nourrir d’autres êtres. Certes, les gens ignorent les conséquences immenses du choix que j’avais fait. C’est pourquoi, dans cette vie-ci, je compris qu’il ne fallait jamais prononcer une parole à la légère, et entrai dans un état de méditation silencieux. Néanmoins, voyant que mon père allait commettre une faute inspirée d’une illusion, je me résolus à parler de nouveau. »
Le roi, ayant entendu ces paroles, félicita son fils et se réjouit de ce qu’il était à ses yeux un excellent exemple et un excellent homme. Il s’engagea même à surveiller désormais ses propres paroles et son propre comportement.
Le prince, naturellement, était une incarnation passée du Bouddha Sakyamuni, et le roi et la reine étaient ceux-là mêmes qui furent bien plus tard les parents du Bouddha Sakyamuni. Et s’il faut retenir un sens à ce récit, une morale, c’est que les décisions les plus insignifiantes en apparence peuvent avoir des conséquences extrêmement lourdes, et qu’il convient d’étudier la formation et la qualité de nos pensées, afin d’éviter de prendre des décisions inconsidérées et d’en payer le lourd tribut.