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Les pieds du Bouddha


Sutra des saints et des ignorants (Damamukanidanasutra), chapitre 13

Un jour, le roi Bimbisara s’agenouilla devant le Bouddha.

« Ô Bouddha, dit-il, vous avez les trente-deux signes du grand homme.

La plupart sont visibles à l’œil nu, mais nous ne voyons pas vos pieds, sous la plante de chacun desquels est dessinée une grande roue. Auriez-vous l’amabilité de me les montrer ? »

Le Bouddha s’exécuta, et tout le monde put observer les roues. Le roi déborda d’admiration et se demanda comment le Bouddha pouvait avoir de si beaux pieds.

« La raison en est que j’ai travaillé durant mes vies passées les dix bonnes actions et que j’ai enseigné aux gens à le faire eux-mêmes. Cela répond à votre question.

– Comment avez-vous fait cela ? demanda Bimbisara. Pourriez-vous me l’expliquer ?

– Il y a d’innombrables kalpas, dans cet univers de Sumeru se trouvait un royaume dirigé par Stonymi. Ce royaume était subdivisé en quatre-vingt-quatre-mille royaumes plus petits et composé de huit milliards de villages. Il possédait dix-mille ministres et vingt-mille femmes, mais n’avait pas de fils, ce qui lui causait une grande inquiétude. Aussi priait-il les dieux célestes qu’ils l’aidassent à avoir un descendant mâle. Sa première épouse légitime, Suriparamon, finit alors à tomber enceinte. Cette grossesse la remplit de talent, d’intelligence et de compassion. Elle recommandait à tout un chacun de pratiquer la générosité. Elle donna ensuite naissance à un enfant magnifique, bien fait et dont chaque poil se hérissait de lumière.

Cela remplit le roi de tant de bonheur qu’il ne pouvait détourner son regard de ce fils tant espéré. Le royaume tout entier jugea que cet enfant avait un visage tout à fait admirable. Le roi fit venir un voyant afin qu’il lui dît quel serait son avenir.

« Y a-t-il eu quelque chose d’extraordinaire au moment de la naissance ? s’informa le devin.

– Oui, fit le roi. Mon épouse, dès qu’elle porta cet enfant, devint extrêmement douée et compatissante. Il y eut d’autres choses stupéfiantes, mais c’est ce qui m’a le plus frappé.

– Puisque l’enfant émet une vaste lumière et que sa mère fut remplie d’intelligence et de compassion, je vous recommande d’appeler votre fils Naparamon, qui signifie la lumière de la sagesse. »

Le prince grandit, et c’était un garçon très talentueux. Au décès de son père, les ministres et les quatre-vingt-quatre-mille rois lui demandèrent de reprendre les rênes du royaume. Mais, le prince refusa.

« Vous êtes le seul héritier mâle. Si vous ne voulez pas diriger le royaume, qui peut le faire ?

– Les êtres humains produisent de nombreux mauvais karmas. Je n’oserais pas trop les punir, faute de quoi je risquerais de créer à mon tour de mauvais karmas. Toutefois, si tous les citoyens, sous  l’impulsion des rois et des ministres, s’engagent à pratiquer les dix bonnes actions, alors j’accepterai d’être roi. »

Les ministres et les souverains des petits royaumes s’y engagèrent, et le prince devint roi. Les peuples pratiquèrent donc les dix bonnes actions, en sorte que le royaume connut une période de paix.

Le prince des démons en éprouva une grande jalousie et voulut nuire au roi et à son enseignement. Il prit l’apparence d’un messager du roi et annonça à tous les souverains des royaumes que, dans la mesure où la pratique des dix bonnes actions n’avait produit aucun mérite, il n’était plus nécessaire de les exercer, et qu’ils pouvaient désormais faire tout ce qu’ils voulaient sans craindre de commettre des fautes. Lorsque les souverains apprirent la nouvelle, la surprise fut de taille : c’était là quelque chose d’anormal. Certains d’entre eux interrogèrent donc Naparamon en personne.

« Je n’ai rien dit de tel », contesta le roi, et il décida de traverser tous les petits royaumes afin de dissiper cette information erronée.

Sur son chemin, il trouva le prince des démons déguisé, cette fois-ci, en une personne enfermée dans une maison en feu. Le roi se rendit sur place pour aider ce prisonnier des flammes, mais l’incendie était si puissant qu’il ne put s’approcher suffisamment.

« Qu’avez-vous donc fait pour que les flammes de ce brasier s’élèvent si haut ?

– J’ai recommandé aux gens de pratiquer les dix bonnes actions, et cet incendie fut ma récompense.

– Et ceux qui ont pratiqué ces dix bonnes actions, ont-ils eu un bon karma ?

– Eux, oui. Moi, non.

– S’il en est ainsi, alors cela me convient, et s’il faut que je brûle dans les flammes pour avoir recommandé de pratiquer ces dix bonnes actions, alors je le ferai avec joie. »

A peine le souverain eut-il achevé de parler que la maison et le démon disparurent. Il poursuivit donc sa route, recommandant toujours de pratiquer les dix bonnes actions. Le roi cumula ainsi de nombreux mérites, en sorte que l’on vit sur son visage et sur le reste de son corps apparaître certains des signes des grands hommes. A partir de là, le peuple tout entier fut très vigilant sur le choix de ses pensées, de ses paroles et de son comportement.

« Ce roi », dit alors le Bouddha, « fut l’une de mes vies passées. Stonymi était une ancienne incarnation de mon père actuel, le roi Suddhodana, et ma mère Mahamaya était Suriparamon. Je cumule depuis très longtemps les mérites karmiques des dix bonnes actions, ce qui explique pourquoi les dessins des roues sont gravés dans ma chair, sous mes pieds. »