Menu Fermer

Katyayana enseigne à une femme âgée de vendre sa pauvreté


Le vénérable maître Katyayana vivait alors dans le royaume d’Avanti. On y trouvait également un homme âgé dont la fortune était faite de nombreux trésors. Mais il était aussi d’une avarice sans borne, prompt à la colère et à peu près dépourvu de toute compassion. Il avait pour habitude d’empoisonner la vie de l’une de ses esclaves, la sollicitant pour diverses tâches, en sorte qu’elle ne trouvait jamais de repos.

Du matin jusqu’au soir elle devait travailler sans relâche. C’était une femme d’une si grande pauvreté qu’elle n’avait guère plus qu’un morceau de tissu pour couvrir son corps, et ne pouvait pas toujours bénéficier d’un repas. Elle était, en outre, souvent malade. Sa situation était si pénible qu’elle forma bientôt des pensées suicidaires.

Un jour que le vénérable maître Katyayana passait par là, il aperçut la vieille femme occupée à chercher de l’eau dans la rivière et pleurant en songeant à sa souffrance.

« Pourquoi pleures-tu ? lui demanda Katyayana.

– Je suis âgée et ne puis accomplir que des tâches ingrates. Je suis dans une telle misère que je ne peux ni me nourrir ni avoir un toit : la misère seule est ma compagne. Je pleure de ne pouvoir mourir, de ne pouvoir mettre un terme à cette vie de souffrance. Telle est la cause de mes larmes.

– Eh bien, si tu es si pauvre, pourquoi ne vends-tu pas ta pauvreté ?

– Comment pourrais-je vendre ma pauvreté, et qui serait assez fou pour me l’acheter ?

– Tu peux vendre ta pauvreté, confirma Katyayana, et il répéta trois fois cette parole.

– Si ma pauvreté peut être vendue, voudrais-tu bien me dire comment cela m’est possible ?

– Si, vraiment, tu souhaites vendre ta pauvreté, il est nécessaire que tu suives tout ce que je vais t’enseigner.

– Très bien, c’est entendu, répondit la vieille femme.

– Va d’abord te laver, puis tu vas pratiquer la générosité.

Après peu la femme revint voir Katyayana :

– Mais, il n’y a pas un seul tissu qui m’appartienne. Même la bouteille que je tiens là appartient à mon maître. Comment donc alors pourrais-je travailler ma générosité ?

– Va me chercher de l’eau », proposa Katyayana en lui tendant son bol.

La pauvre esclave s’exécuta, et après qu’elle lui eut remis l’eau, Katyayana récita un sutra en sa faveur, puis lui enseigna les préceptes de base, en lui demandant de les maintenir. Ayant ainsi fait, il lui indiqua comment pratiquer le souvenir de bouddha et quels mérites elle en pourrait retirer.

« As-tu un toit sous lequel t’abriter ? l’interrogea ensuite Katyayana.

– Non, répondit la vieille femme : je travaille dans un moulin, et j’y reste le soir pour dormir. Lorsque je n’ai pas de travail, je fais un lit de la paille maculée d’excréments des vaches.

– Ecoute. Demeure concentrée sur le souvenir de bouddha, dit Katyayana. Continue, sans haine, de servir ton maître, et lorsque ton maître dort, cherche un endroit propre dans sa maison afin d’y méditer et d’y maintenir le souvenir de bouddha. Enfin, n’aie point de colère ou d’autres pensées négatives. »

La vieille femme, comblée d’avoir reçu de tels enseignements, mit en pratique dès le soir venu tout ce que lui avait appris Katyayana. Elle mourut dans la nuit même et renaquit dans le trente-troisième ciel, la terre de Trayastrimsa.

Le lendemain, le maître aperçut chez lui le corps sans vie de la vieille femme. Il éprouva aussitôt un vif mécontentement en réalisant qu’elle avait passé la nuit sous son toit et que, par surcroît, elle y était morte. Il demanda donc à ses serviteurs de jeter le cadavre dans la forêt. Ils s’exécutèrent en le tirant, des cordes attachées aux pieds, jusque dans les bois.

Or, dans le paradis céleste de Trayastrimsa où se trouvait la vieille femme vivait aussi un prince qui avait cinq-cents épouses. Il venait d’épuiser tout son bon karma et devait donc quitter Trayastrimsa. Aussi la vieille femme devint-elle le nouveau prince de ce paradis.

Il arrive fréquemment que les êtres célestes, étant de bons pratiquants, connaissent leurs vies passées, cependant que d’autres, pratiquant moins efficacement, en ignorent tout. Ce nouveau prince, pour sa part, ignorait qu’il avait été jadis une vieille femme.

Sariputra se rendit auprès de ce prince et lui posa une question :

« Es-tu conscient des mérites qui t’ont valu de renaître dans le paradis de Trayastrimsa ?

– Non », répondit le prince.

Sariputra lui montra alors qu’il avait été une esclave âgée et que, grâce à Katyayana, il avait pu renaître dans ce paradis céleste. Le prince, ayant appris cela, conduisit ses cinq-cents épouses auprès du corps qu’il portait durant sa vie passée, dans la forêt. Les dieux célestes prièrent alors pour le corps et y déposèrent de l’encens et des fleurs. La lumière qu’ils dégageaient illuminait tant la forêt que de nombreux villageois s’en aperçurent et se rendirent sur place pour comprendre ce qui était en train d’arriver. Voyant alors les dieux célestes, certains, curieux, leur demandèrent :

« Cette femme, de son vivant, était un être répugnant, laid et sale. Pourquoi à présent lui offrez-vous de l’encens et des fleurs ? »

Les dieux célestes leur expliquèrent donc tout le chemin parcouru par cette femme entre le moment où elle était encore une esclave et celui où elle était devenu prince de Trayastrimsa. Par la suite, les dieux visitèrent Katyayana, qui leur enseigna la pratique de la générosité et le maintien des préceptes ; la manière de devenir des dieux célestes, de s’éloigner des souillures karmiques et de sortir de la souffrance. Ces paroles de Katyayana leur permirent d’obtenir l’œil du dharma , après quoi ils retournèrent dans leurs paradis célestes. Certains villageois qui avaient écouté ces enseignements atteignirent le troisième ou le quatrième niveau de Sravaka. Ils exprimèrent ensuite tous leur gratitude, saluèrent Katyayana et se retirèrent.