(Jataka)
La belle Uppalavannā avait été mariée à l’âge de seize ans avec un homme fort séduisant lui-même. Lorsqu’elle fut enceinte, elle dut se rendre avec son mari dans sa propre famille afin d’y accoucher.
Or, lorsque la mère d’Uppalavannā, qui était alors veuve, rencontra son époux, elle s’en éprit aussitôt. Quant au mari, peu regardant au sujet de la fidélité qu’il devait à sa femme, il céda bien vite aux avances de sa belle-mère. Plusieurs fois ils couchèrent ensemble, sans naturellement que la jeune épouse fût au courant.
Peu de temps après qu’elle eut mis au monde une fille, Uppalavannā, alors qu’elle était sortie, surprit son mari et sa mère partager la même couche. Dans un brusque accès de fureur, elle saisit son enfant et la jeta sur son mari qui, réceptionnant mal la fillette, ne put empêcher que l’arrière de sa tête heurtât le mur. La malheureuse enfant se mit à pleurer et à saigner. Uppalavannā, réalisant soudain la violence de son geste, s’empressa de soigner sa fille, puis quitta la maison de sa mère et partit dans une contrée lointaine.
Elle ne manqua pas alors d’être courtisée par de nombreux hommes, mais l’un d’entre eux seulement put la conquérir à cause de l’honnêteté de son cœur, bien qu’Uppalavannā, ayant à cette époque perdu toutes ses illusions au sujet de l’amour, eût d’abord tout le mal du monde à accepter. L’homme eut ainsi bientôt le bonheur d’épouser la jeune femme et de lui donner un fils. Comme il était commerçant, il était régulièrement contraint de voyager pour faire fructifier ses affaires. Cela lui était donc facile d’avoir des maîtresses dans d’autres villes. Il ramena même, plusieurs années après leur mariage, l’une de ses maîtresses chez lui. Lorsqu’Uppalavannā l’apprit, elle exigea de rencontrer sa rivale, avançant même que, si cette femme était digne à ses yeux, elle autoriserait son mari à en faire sa seconde épouse. Son mari s’étonna d’abord de cette proposition, puis l’en remercia. Il présenta donc à sa femme une fille encore de la première jeunesse. Uppalavannā, en la voyant, fut frappée par la ressemblance physique qu’elle partageait avec elle, et éprouva l’étrange sensation qu’elle la connaissait.
Uppalavannā accepta néanmoins que cette jeune fille devînt la seconde épouse de son mari et partageât sa vie. Or, lorsqu’elles restaient toutes les deux, elle la questionnait pour savoir d’où elle venait, ou qui étaient ses parents. L’adolescente lui confia un jour qu’elle n’avait jamais connu sa mère qui, par suite d’une dispute violente avec son père, l’avait quittée alors qu’elle n’avait encore que quelques mois. Uppalavannā remarqua ensuite une cicatrice à l’arrière du crâne de la jeune fille.
« Qui est ton père ? demanda Uppalavannā, de plus en plus intriguée, et qui est la mère de ton père ? »
La réponse de la seconde épouse confirma les soupçons d’Uppalavannā : cette femme que son mari avait épousée n’était autre que sa propre fille. Cela la bouleversa : elle avait autrefois partagé la couche de son mari avec sa propre mère, elle l’avait fait aujourd’hui avec sa propre fille. Une nouvelle fois, elle quitta le domicile conjugal, déchirée par cette révélation.
Sans rien dire à sa fille et à son mari de l’endroit où elle comptait aller, elle s’installa dans une autre ville, anonyme parmi les anonymes. Elle y rencontra un jeune homme, mais, se méfiant désormais comme de la peste de tous les hommes, elle jugea, durant un moment, plus prudent de ne pas répondre à celui-ci. Pourtant elle finit, une fois encore, par céder à ses avances et par coucher avec lui.
De cette relation naquirent des jumeaux. Le père, ne désirant pas ces enfants, s’en débarrassa secrètement en les abandonnant en deux endroits différents, avant de s’enfuir lui-même et de disparaître de la vie d’Uppalavannā. Epuisée par le chagrin et la solitude, la pauvre femme continua d’errer à travers le monde. Durant des années elle parcourut ainsi les routes, jusqu’au jour où elle rencontra de nouveau un homme qui, séduit par sa beauté en dépit du fait que son visage commençait de se dessécher sous l’effet de l’âge et de la douleur, la convainquit, bien qu’elle s’y refusât d’abord, de faire l’amour avec elle, et même de se marier avec lui. Hélas pour Uppalavannā, celui qui était devenu son nouvel époux s’éprit d’une autre femme. Uppalavannā consentit alors à ce qu’il la lui présentât. Lorsqu’elle la rencontra, elle lui trouva une nette ressemblance avec son époux, ainsi qu’à elle-même. L’histoire semblait se répéter, encore et encore. Lorsqu’elle interrogea la jeune femme, elle découvrit qu’il s’agissait de sa propre fille, celle-là même qui avait été abandonnée, et que son mari était son fils : elle avait épousé son fils, qui s’était épris lui-même de sa propre sœur ! La malédiction qui semblait s’acharner sur elle la jeta dans un si grand désespoir qu’elle repartit, seule encore, dévastée, méprisée. Les hommes qui la voyaient lui offraient des bijoux et pensaient même qu’elle était une prostituée.
Un jour, quelqu’un s’approcha d’elle et lui fit savoir qu’il existait non loin de là un disciple du Bouddha Sakyamuni qui répondait au nom de Moggallana. Animé d’intentions mauvaises, il lui conseilla de se rendre auprès de lui et de le séduire. Elle obéit mécaniquement et s’approcha du moine. Lorsqu’elle arriva sur place, Moggallana sourit et, d’un air amusé, lui demanda :
« Es-tu donc venue me séduire ?
– Oui… Comment l’avez-vous deviné ?
– Ta vie a été très triste, n’est-ce pas ? Tu as partagé ton premier mari avec ta mère, ton second avec ta fille, et tu as épousé ton fils qui est tombé amoureux lui-même de ta fille. Sais-tu pourquoi ?
– Non, je l’ignore, fit Uppalavannā, étonnée que cet homme connût ainsi tous les drames de sa vie.
– Apprends que, dans une vie passée, tu fus très belle, mais dominée complètement par ton appétit sexuel : tu couchas avec diverses personnes en dehors des liens qui t’unissaient à ton époux. Par surcroît, tu encourageais beaucoup de personnes à avoir des relations sexuelles toujours plus nombreuses. Tu n’hésitais même pas à pousser des membres d’une même famille à coucher entre eux. Tout ce qui t’est arrivé dans cette vie est la conséquence de tes actions passées.
– Où est votre maître ? s’empressa de demander Uppalavannā, qui ne pouvait cacher le trouble où l’avait jeté le moine.
– Le Bouddha Sakyamuni est mon maître. Accompagne-moi, et tu pourras le rencontrer. »
Ainsi Uppalavannā devint-elle disciple du Bouddha et un grand arhat. Il arriva même un jour qu’une troupe de bandits décidât de l’enfermer dans une tour en attendant de la violer. Uppalavannā ne savait pas comment sortir de cette situation. Mais bientôt Moggallana vint la trouver : il la rejoignit par les airs dans sa geôle et, lui enseignant la lévitation, l’emporta à ses côtés loin de ses ravisseurs.
Nous pouvons apprendre de cette histoire que, si nous cherchons à provoquer chez autrui des actions malsaines ou inappropriées, nous en subirons nous-mêmes les conséquences. Par ailleurs, nous pouvons nous rendre compte que les relations sexuelles extraconjugales sont une source de nombreux problèmes.