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Une histoire de baleine

(Jataka)

Un commerçant voyageait à travers les océans quand il remarqua un animal d’une taille considérable en manger de plus petits. Ce triste spectacle le fit un moment méditer sur le fait que, dans la vie, les plus forts dévorent ou maltraitent toujours les plus faibles, qui de la même façon agissent sur ceux qui sont encore plus faibles qu’eux.

Or, il se trouve que la haine qui habite le cœur de ces êtres les contraint sans cesse à se réincarner et à se faire dévorer à leur tour par ceux-là mêmes qui, autrefois, avaient été leurs proies. Aussi le commerçant, dans un élan de son cœur, souhaita-t-il que cette tragédie ordinaire prît fin.
Lorsque le commerçant trouva la mort, il devint, à cause du grand vœu qu’il avait formulé, une baleine monumentale. A la même époque, un royaume connaissait plusieurs catastrophes : une douloureuse sécheresse s’était étendue sur les terres, et l’océan lui-même, à cause d’une pêche trop abondante, s’était vidé progressivement de ses poissons, en sorte que les habitants n’eurent bientôt plus rien à manger. Lorsque la baleine eut vent de cette situation, elle prit la résolution de s’échouer sur la plage afin de nourrir le peuple des hommes. Mais chaque fois que la marée était haute, l’énorme mammifère, bien que souffrant terriblement, retournait dans l’océan, attendait que sa chair se recomposât, et retournait s’échouer sur la plage pour continuer de faire vivre les hommes. Ce rituel s’étendit sur quelques mois, jusqu’à ce qu’un dieu céleste en prît connaissance. Il s’approcha alors de la baleine et lui dit en pensée :
« Vous êtes un grand bodhisattva à n’en point douter. Mais, puisque vous souffrez grandement de ces sacrifices répétés, pourquoi ne vous borneriez-vous pas à vous laisser mourir afin que les hommes puissent se nourrir de votre corps tout entier ?
– Si je procédais ainsi, les hommes ne pourraient se nourrir de ma chair qu’une seule fois, puisqu’elle pourrirait dans les jours suivants. Ils mourraient donc de faim ensuite.
– Vraiment, renchérit le dieu, vous êtes un très grand bodhisattva, et je pense que, lorsque vous serez devenu un bouddha, vous aiderez un nombre infini d’êtres sensibles. »
La baleine poursuivit donc son habitude un certain temps encore, jusqu’à ce que, épuisée, elle perdît la vie.

Ce fut alors sous la forme d’un prince qu’elle fit sa nouvelle réincarnation.

Une année, le pays a connu les catastrophes, le peule avait faim.  Ce généreux prince exhortait son père à supprimer les impôts, faisait son possible pour aider les autres et s’imposait à lui-même une alimentation des plus frugales. Il alla jusqu’à faire le vœu d’être capable d’épargner à son royaume la misère et les catastrophes. A cet instant même passèrent un bouddha et ses disciples, qui distribuaient au peuple leurs bénédictions.
« Peut-être suis-je responsable des catastrophes qui troublent mon pays, confia le prince, peut-être ai-je de si mauvais fruits karmiques que je favorise le développement de la misère ici-bas. C’est pourquoi je suis disposé à donner ma vie si cela permet à mon peuple d’être affranchi de ses souffrances. »
Le bouddha, ayant écouté ces propos, lui assura que tout un chacun connaissait la compassion dont son cœur était habité, et lui promit que son peuple ne subirait plus désormais les épreuves qu’il avait jusque-là rencontrées. Et ce fut précisément ce qui se produisit. Le prince devint alors plus tard le bouddha Sakyamuni.

Si nous sommes capables de demander de l’aide pour aider autrui, que nous ayons le plus grand désir de libérer les êtres de la souffrance et que nous considérions chacun d’eux sans préjugé, nous deviendrons des bouddhas.