(Jataka)
Il existait autrefois, à une époque extrêmement lointaine, un roi juste et généreux. Son peuple était heureux et ses prisons étaient vides.
Sa vertu était si grande qu’il avait le souci et la faculté de résoudre tous les problèmes que la population pouvait rencontrer, pour peu qu’elle le lui demandât. Même les citoyens des pays voisins désiraient d’entrer dans son royaume.
Or, dans l’un de ces pays vivait un prêtre puissant et jaloux du roi. Cet homme brutal avait longuement réfléchi à la meilleure manière dont il pourrait humilier le roi. Lorsqu’il eut défini son plan, il se rendit à son palais et demanda à rencontrer le monarque.
« J’ai entendu dire que votre roi était disposé à rendre service à tous ceux qui le demandaient, déclara le prêtre aux gardes du palais.
– Vous avez bien entendu, répondit un garde : tout ce que vous souhaitez, si notre roi peut vous l’obtenir, il vous l’obtiendra.
– Fort bien, reprit le prêtre. Il me manque quelque chose pour accomplir proprement mes prières, et je pensais que votre roi pourrait me le fournir.
– Oui, certainement. Veuillez me suivre. »
Le prêtre fut donc conduit auprès du roi, et lui tint alors ces propos :
« Votre Majesté, j’ai appris que votre libéralité était si grande que vous ne pouviez refuser à qui que ce soit un service qu’il vous demandait. Aussi aurais-je voulu savoir si vous pouviez me procurer quelque chose dont j’ai besoin pour une cérémonie que je prévois d’organiser en faveur des dieux.
– Dites-moi ce dont vous avez besoin, et je vous le procurerai.
– Eh bien, c’est très simple : il me faut votre tête.
–Ma tête ? répliqua le roi. Eh bien, elle vaut fort peu de choses, vraiment, et les dieux en seraient mécontents ! Je pense que vous avez besoin davantage de pierres précieuses, de coraux, de pièces d’or, de nourriture. Prenez-en à votre guise, car cela plaira aux dieux que vous leur sacrifiiez ces choses.
– Non, insista le prêtre, je vous assure que tout cela n’est pas nécessaire : j’ai besoin seulement de votre tête.
– En ce cas, peut-être puis-je demander à un artiste de sculpter un buste de moi dans de l’or pur, et de vous l’offrir ? Ce serait là une chose très utile pour l’adoration des dieux.
– C’est très aimable à vous, mais je dois refuser. Je vous rappelle, en outre, que vous vous êtes engagés il y a un instant à accorder à chacun ce qu’il veut. J’espère donc repartir avec votre propre tête.
– Entendu. Si rien ne peut vous satisfaire que d’obtenir ma tête, je suis disposé à vous la donner, fit le roi tout en marchant vers un balcon du palais.
– Je vous remercie. Préparez-vous », répondit alors le prêtre en apprêtant sa hache.
Alors que le roi exposait sa nuque au prêtre et que celui-ci levait son arme, les esprits qui occupaient les arbres du jardin du palais virent ce qui allait se produire, et mobilisèrent toutes leurs forces pour retenir la hache et empêcher le prêtre d’accomplir son méfait. L’homme, ainsi empêché par ses invisibles assaillants, tenta alors une autre approche. Ce fut peine perdue : il fut retenu de nouveau. Sa hache tomba. Il la ramassa. Elle lui échappa encore. Il la saisit encore. Elle le fuit encore. Puis, il comprit : les esprits et les dieux eux-mêmes condamnaient son dessein. Le prêtre, alors dévoré par le remords et suintant de honte, se confessa auprès du roi, s’excusant de son orgueil et de sa jalousie, et regagna ses terres.
Le Bouddha, ayant achevé son récit, expliqua à ses disciples que le roi avait été l’une de ses vies antérieures, cependant que le prêtre avait été celle de Devadatta, son cousin jaloux et l’un de ses disciples. Ainsi, la jalousie de Devadatta trouvait son origine dans un temps fort reculé.
Cette histoire nous apprend entre autres choses qu’il ne faut pas hésiter à se montrer généreux car de nombreux êtres invisibles nous soutiennent dans notre tâche. En outre, tout acte généreux produit des bénéfices pour les autres, et plus encore pour nous-mêmes, puisque les fruits de notre générosité, pour peu que nous ne nous y attachions pas, seront infinis et nous aideront invariablement à devenir un jour des bouddhas. Par contre, il nous importe de ne pas donner quoi que ce soit si nous ne le faisons pas avec plaisir, si nous donnons à contrecœur, car cela engendrerait sinon pour nous de fâcheuses conséquences. Un dernier enseignement que nous apporte ce récit se résume à ces quelques mots : celui qui n’a, par la passé, dans ses vies passées, commis aucun crime ou qui a payé pour ceux qu’il avait faits, ne pourra pas être tué à son tour, et sera protégé d’une manière ou d’une autre de ceux qui voudraient lui ôter la vie.