(Jataka)
L’esprit du petit Śuddhipanthaka avait toujours été très lent, si lent qu’il ne pouvait rien retenir de ce que son père tentait de lui inculquer. Bien qu’il persévérât à lui apprendre à lire, à écrire, à étudier les védas, l’enfant était dans l’incapacité de retenir quoi que ce soit. Son frère, tout au contraire, avait l’esprit si bien formé qu’il assimilait rapidement tout ce qu’on lui enseignait.
A la mort de leur père, les deux frères se rendirent auprès des disciples du Bouddha, et l’aîné se joignit à eux. Śuddhipanthaka en revanche, parce qu’il se croyait trop stupide, n’osa même pas s’approcher de la communauté, convaincu qu’elle refuserait de l’intégrer.
Son frère lui recommanda alors de rencontrer Ananda, le demi-frère du Bouddha et l’un de ses disciples, songeant que, peut-être, il intercéderait auprès du Bouddha pour qu’il devînt moine à son tour.
« Je n’y arriverai pas, objecta tristement Śuddhipanthaka : je suis si bête que je ne pourrai pas entrer dans la communauté.
– L’essentiel n’est pas là, insista son frère. L’essentiel, dans le bouddhisme, est que tu sois ouvert d’esprit et généreux. Or, je sais combien ton cœur est grand : aussi, je pense que le Bouddha acceptera de te recevoir parmi sa communauté. »
Śuddhipanthaka se résolut donc à aller voir le Bouddha, qui accepta sa venue, ayant deviné immédiatement la racine du problème du jeune homme. Ananda, qui était présent également, lui dit simplement ces mots :
« Fais ce qui est bien, ne fais rien de ce qui est mal. Acquiers la connaissance juste, la pensée juste, et pratique ce qui est juste dans ta vie quotidienne. Tel est l’enseignement du Bouddha. »
Trois mois passèrent depuis ces conseils d’Ananda, mais Śuddhipanthaka les avait depuis longtemps oubliés, non pas qu’il se moquât pas mal de ce qu’il lui avait dit, mais il n’était pas parvenu à les mémoriser. Ananda, désemparé, ne savait plus quoi faire. Aussi en parla-t-il au Bouddha, qui échangea avec Śuddhipanthaka :
« Maître, lui confia le pauvre moine, je ne comprends pas : qu’ai-je bien pu faire par le passé pour qu’aujourd’hui tout ce qui entre dans ma tête en sorte aussitôt ?
– C’est très simple, fit le Bouddha : dans une vie passée, tu étais quelqu’un de très célèbre, et tu as profité de ta notoriété pour insulter grand nombre de personnes et de moines. Tu agissais toujours selon ton intérêt personnel, n’hésitant pas à broyer les autres pour atteindre tes objectifs, méprisant la sagesse des uns et la dignité des autres. La conséquence de tout ceci, c’est que tu manques aujourd’hui totalement de sagesse, ne l’ayant pas du tout développée par le passé : en ayant considéré jadis les gens comme des êtres stupides, y compris ceux qui étaient sages, tu es devenu stupide à ton tour. En ridiculisant la sagesse des moines, tu t’es privé aujourd’hui de la tienne.
– Vous avez raison. Lorsque j’étais enfant, tout le monde me disait que j’étais idiot. Mais aujourd’hui la communauté des moines se montre très gentille envers moi, et je me sens mieux.
– Śuddhipanthaka, ajouta le Bouddha, sais-tu passer des coups de balai ?
– Oui, cela, je sais le faire, répondit l’homme.
– Parviendras-tu à retenir les mots « balai » et « balayer » ?
– Oui, j’y arriverai !
– Eh bien, je te charge de balayer tout le monastère. »
Śuddhipanthaka entreprit donc, jour après jour, de chasser la poussière du monastère à grands coups de balai, gardant sans cesse à l’esprit les mots « balai » et « balayer ». Ainsi pratiqua-t-il longuement, jusqu’au jour où il atteignit l’illumination. Il bondit alors de joie et alla trouver le Bouddha pour l’en informer :
« Fort bien, répondit le Bouddha. Que comprends-tu à présent ?
– Je comprends que mon attachement, mon avidité et mon ignorance sont la source de nombreux problèmes. Je vois plus clairement en moi ce qui a pu causer ma stupidité. »
Plus tard, Śuddhipanthaka devint l’un des maîtres bouddhistes les plus célèbres et un grand arhat.
Si, dans la pratique bouddhiste, la connaissance juste est indispensable, elle n’est en aucune manière un signe quelconque de supériorité de la part de celui qui la détient : le plus important est de pratiquer sans cesse, à la manière dont Śuddhipanthaka pratiqua.