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Une reine qui devint roi

(Jataka)

Le Bouddha expliquait au roi Pasenadi que l’avarice était la cause de très nombreuses souffrances en cela que, nous attachant aux choses et refusant ainsi d’être généreux, nous favorisons l’émergence et le développement de la souffrance. Dans un passé extrêmement reculé régnaient un  roi et son épouse sur un pays décimé par le froid, la maladie et la famine. Le roi lui-même était fort malade. La reine s’en alla un jour prier les dieux de leur apporter le secours dont le royaume avait tant besoin. Au même instant elle croisa une femme qui venait de donner naissance à un enfant. Elle était épuisée, elle était affamée, et n’ayant par surcroît rien à donner à son fils pour le nourrir, elle envisageait désormais de le manger. Pourtant elle n’en avait pas la force et se mit en pleurer. La reine se précipita alors vers la pauvre femme.

« Que se passe-t-il ? s’enquit-elle.

– Je ne peux tuer mon fils, je n’en ai pas la force, répondit la malheureuse.

– Mais pourquoi voudrais-tu le tuer ?

– Nous n’avons rien à manger à la maison depuis des jours. Lorsque mon mari rentre chez lui, il lui faut manger, et je n’ai rien à lui offrir. Rien que ce petit être que je tiens dans mes bras…

– Je vous en prie, ne tuez pas votre enfant. Laissez-moi retourner au palais, et je vous trouverai de quoi manger.

– Peut-être n’en trouverez-vous pas le temps : lorsque mon époux rentrera chez lui tout à l’heure et que, une fois de plus, il ne trouvera rien à manger, il risque de perdre l’esprit et de tuer notre enfant : la faim nous rend fous.

– En ce cas, de la viande vous conviendrait-il ? insista la reine.

– Que nous importe la nourriture, vous savez, pourvu que nous puissions survivre ! »

La reine, comprenant qu’elle n’avait pas le temps de se rendre au palais, sacrifia sa propre poitrine afin que la famille de cette femme s’en nourrît. La bienveillante femme pria alors les dieux que, par ce don qu’elle venait de faire, ils pussent aider tous les êtres à se libérer de la souffrance et que l’illumination les touchât. Le dieu Indra, qui entendit cette prière et en fut très ému, voulut se présenter devant la reine :

« Votre vœu m’a fait venir vers vous. Dites-moi, que cherchez-vous ? fit Indra.

– Je ne cherche rien ; rien d’autre que libérer les êtres de la souffrance. En voyant la douleur de cette femme, je voulus lui venir en aide.

– C’est fort louable, mais quel moyen ai-je de savoir si vous êtes tout à fait sincère ?

– Eh bien, voilà : si je ne suis pas sincère, je ne retrouverai pas ma poitrine, mais si je suis sincère, je souhaite qu’elle repousse, si les dieux le veulent. »

A peine la reine eut-elle prononcé ces paroles que son vœu fut exaucé. Indra l’en félicita et lui prédit qu’elle deviendrait prochainement un grand bodhisattva, puis un bouddha.

« Mais, n’avez-vous pas souffert en tranchant ainsi votre sein ? interrogea l’un des dieux qui accompagnait Indra.

– Bien sûr, confirma la reine, mais je n’ai, pour avoir enduré cette souffrance, ni regret, ni haine.

– Comment pouvons-nous en avoir la certitude ?

– Eh bien, voilà : si j’ai en moi quelque regret que ce soit, que je demeure dans le corps d’une femme. Mais si je n’ai point de regret, fasse que j’acquière le corps d’un homme. »

A peine la reine eut-elle prononcé ces mots que ses cheveux tombèrent, que sa poitrine s’aplatit et que tout son corps devint celui d’un homme.

« Assurément, dirent les dieux en voyant ce prodige, vous deviendrez très vite un bouddha. »

Quelques mois passèrent. Le royaume retrouva la paix : la maladie fut peu à peu vaincue et les fruits de la terre surgirent de nouveau des champs. Pourtant, le roi mourut peu après, et la reine, puisqu’elle était désormais homme, fut nommée nouveau roi du pays.

« Vois-tu, conclut le Bouddha en s’adressant à Pasenadi, cette reine fut une de mes vies antérieures, et dans la mesure où la sincérité de mon vœu était incontestable, je pus prendre l’apparence d’un homme, et à compter de ce jour, j’eus la liberté de choisir, existence après existence, de vivre dans le corps d’un homme ou dans le corps d’une femme. Durant chacune de ces vies je pratiquai sans cesse la générosité, ce grâce à quoi je devins un bouddha. »

Le roi, ayant écouté attentivement ces paroles, remercia chaleureusement le Bouddha et lui fit la promesse de pratiquer à son tour la générosité.

Le Bouddha dit que chacun de nous a en lui un vrai moi qui dispose de toutes les capacités nécessaires pour donner au corps d’un homme les attributs d’un corps féminin, et inversement, et si les conditions nécessaires pour cela sont rassemblées, alors cette transformation devient possible. Or, pour réunir ces conditions, il nous faut avant tout pratiquer la générosité : ces conditions se forment à mesure que grandit notre générosité envers tous les êtres.