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(Jataka)
Il y a fort longtemps vivait un roi d’une si grande générosité qu’il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour satisfaire les désirs des peuples qui sollicitaient son aide. Le dieu Indra, de son côté, souffrait de ce que sa vie allait bientôt prendre fin, et les dieux célestes, informés de sa détresse, s’enquirent de sa santé :
« Je vois venir le crépuscule de ma vie, leur répondit Indra, et j’ignore où je devrai me rendre lorsque mon heure aura passé. De surcroît, le véritable enseignement devient de plus en plus impopulaire et les bodhisattvas se raréfient.
– Ne sais-tu pas, Indra, répliquèrent les dieux, qu’il existe sur la terre un roi dont la libéralité et la compassion sont telles que nous ne serions nullement surpris qu’il devienne plus tard un bouddha ? Pourquoi, en ce cas, ne choisirais-tu pas de te réincarner sur cette terre afin de pouvoir approcher ce roi et établir avec lui des liens puissants ?
– J’ai entendu vos paroles, et souhaite m’assurer avant toute chose que le cœur de ce roi est aussi noble et pur que ce que vous m’en avez dit. »
Indra ordonna alors à l’un des dieux célestes qui était sous son commandement de descendre sur terre sous la forme d’un pigeon, et lui confia que lui-même prendrait celle d’un aigle aux dimensions extraordinaires.
« Tu seras ma proie, ajouta Indra, et tu trouveras refuge chez ce roi. Ainsi, nous verrons si ce roi fait preuve envers toi d’une assez grande magnanimité, et s’il est un authentique pratiquant. »
Le dieu se métamorphosa immédiatement en pigeon et prit son envol vers la terre. Indra prit l’apparence de l’aigle et se mit à poursuivre, dans un ballet aérien formidable, le pigeon. Alors l’oiseau se hâte de trouver le roi et, par le moyen de ses yeux, de lui demander sa protection. L’aigle arrive, le regard méchant, fait savoir au roi qu’il n’a pas mangé depuis longtemps et qu’il a besoin de sa proie pour apaiser sa faim.
« J’ai fait l’engagement de venir en aide à tous les êtres sensibles, répondit le roi à l’aigle, y compris donc ce pigeon, que je ne peux donc pas te céder.
– Mais si tu ne rends pas ce pigeon, objecta l’aigle, c’est moi-même qui mourrai.
– Eh bien, dis-moi ce dont tu as besoin, et je veillerai à y pourvoir.
– C’est de viande dont j’ai besoin, fit l’oiseau de proie, en particulier quand elle est encore chaude. »
Le roi découpa alors un petit morceau de sa propre chair et le tendit à l’animal affamé. Mais l’aigle, insatisfait, en réclama une part plus importante, car ce que lui avait donné le roi ne pouvait suffire à satisfaire son appétit vorace. Le roi coupa un nouveau morceau de sa chair d’un poids égal, cette fois, à celui du pigeon, et l’offrit à l’aigle. Mais la douleur que lui avait infligée ce sacrifice était telle qu’il s’évanouit.
Après que les sujets du roi l’eurent réveillé, il reprit fébrilement la parole :
« J’avais fait la promesse d’aider tous les êtres sensibles, et si j’ai souffert à cause de ce que j’ai fait, soyez assurés que ce n’est rien par rapport à ce que souffrent tous les damnés qui hantent les enfers. Je respecte les préceptes, je pratique la concentration et la persévérance et, loin de me préoccuper de ce corps provisoire, je n’ai d’autre ambition que d’aider les êtres à se libérer de la souffrance. »
L’aigle ayant entendu ces paroles, voulut mettre le roi une nouvelle fois à l’épreuve :
« Donne-moi ce pigeon, et je sauve ta vie, lui assura-t-il.
– Non, répondit le roi, car si j’accédais à ta requête, je romprais le vœu que j’ai formé d’aider tous les êtres sensibles. »
Ces paroles convainquirent finalement Indra, qui reprit sa forme habituelle. Les dieux célestes firent tomber alors une pluie de fleurs afin de féliciter ce roi extraordinaire, dont ils étaient convaincus désormais qu’il était en effet un grand bodhisattva et qu’il deviendrait certainement, un jour prochain, un bouddha.
« Dites-moi ce que vous aimeriez avoir, demanda encore Indra, et je vous l’accorderai.
– Il n’y a rien que je désire, sinon aider les êtres sensibles afin que tous atteignent l’état de bouddha. »
Sur ces mots, Indra rendit au roi ses forces et la chair dont il s’était privé. Ce roi, nous le savons, était celui qui deviendrait plus tard le Bouddha Sakyamuni.