Zhuanji bai yuan jing 《撰集百緣經》(Tome X, chapitre 91)
Quelques temps après que le prince Siddharta eut atteint l’état de Bouddha, il s’envola en direction de la montagne de Sumeru et, lorsqu’il y fut arrivé, il prit l’apparence d’un jeune moine. Il demeura à cet endroit. Un jour qu’il était assis en état de méditation, un oiseau nommé Garuda fendit l’air. Bientôt l’animal aperçut un dragon et fondit immédiatement sur sa proie. Le dragon, découvrant qu’il était attaqué, s’approcha du moine et sollicita son secours. Mais, à peine eut-il le temps d’exprimer sa demande que Garuda le tua.
L’être qui avait été un dragon se réincarna alors dans une famille de brahmanes, au pays de Kosala, à Śrāvastī, la ville qui avait vu naître le Bouddha.
Il y devint un enfant magnifique et précieux que ses parents appelèrent Subhuti. Cet enfant était d’une intelligence rare. En grandissant, il développa si bien ses qualités rhétoriques que nul ne pouvait se mesurer à son éloquence.
En revanche, il entretenait une fort mauvaise habitude : il cédait très facilement à la colère et ne parvenait point ensuite à la dominer. Il pouvait passer en conséquence de très longs moments à s’emporter contre celui qui lui avait inspiré ce sentiment. Ses parents eux-mêmes évitaient de le voir, tant ils redoutaient les foudres de son courroux. Les gens et jusqu’aux animaux cherchaient à le fuir.
Subhuti, qui avait tout à fait compris la cause de son isolement, avait finalement entrepris de se rendre dans les solitudes montagneuses. Sa colère pourtant le poursuivait jusque dans ces reliefs tourmentés où il avait fixé sa thébaïde. Le vol des oiseaux, le passage des animaux à proximité, le souffle du vent dans les frondaisons suffisaient à exciter sa fureur. Néanmoins, l’esprit de la montagne, qui aimait Subhuti, lui confia qu’un bouddha vivait non loin et qu’il pouvait, si le jeune homme le désirait, le lui présenter.
« Il aura certainement le moyen d’arracher la colère de ton cœur », ajouta l’esprit de la montagne. »
C’est ainsi que l’esprit mena Subuthi au Bouddha. Shakyamuni, en le voyant, lui sourit, ce qui éteignit la colère de Subhuti, qui alors tomba à genoux devant lui.
« C’est de l’ignorance que naît la colère, lui expliqua le Bouddha. Elle nourrit la stupidité rend stupide et enténèbre les relations que nous entretenons avec autrui. Suppose que tu aies construit une véritable forêt de mérites auprès des êtres sensibles. Pourtant, il suffit qu’une seule fois la colère envenime ton cœur et, tel un incendie, elle dévastera la forêt que tu auras mis tant de temps à faire croître. La colère a le pouvoir d’alourdir nos mauvais karmas et de nous conduire sur le chemin de l’enfer et de mille souffrances. Pour autant, lorsque, dans les enfers, la source de la souffrance a fini par se tarir, l’être se réincarnera aussitôt en dragon, en asura ou en un quelconque esprit prompt à la colère. Dans l’un de ces états, il vivra de nouveau sous le joug de la colère et, par suite, retournera en enfer, s’enfermant ainsi dans un infini cercle vicieux. »
Après que Subhuti eut écouté le Bouddha, il se leva, puis, s’agenouillant de nouveau, il se confessa en inclinant la tête jusqu’au sol. Il demanda aux êtres sensibles de lui pardonner ce que sa colère leur avait causé et se promit de ne plus céder jamais à ce travers. Cette confession lui permit également de s’interroger sur l’origine de sa colère. Il comprit alors que sa colère était née d’un certain attachement qu’il avait pour son moi. A l’issue de sa confession, il avait atteint le premier fruit de srôtâpanna. Il demanda alors au Bouddha s’il l’autorisait à devenir l’un de ses disciples.
« J’attendais ta venue », lui déclara le Bouddha.
Subhuti devint ainsi un grand arhat. Plus tard, des moines interrogèrent Shakyamuni au sujet du karma de Subhuti. Ils voulaient comprendre pour quelle raison cet homme avait autant de colère en lui, et comment, en dépit de cette rage, il avait pu rencontrer le Bouddha.
« Ecoutez attentivement, répondit le Bouddha, car je vais vous expliquer ce qu’il en est. Il y a très longtemps sur cette terre, un bouddha est apparu qui avait nom, Kashyapa. A cette époque, il existait un moine qui ramenait bien du monde auprès de Kashyapa et qui, de surcroît, dirigeait plusieurs centres bouddhistes d’où il propageait l’enseignement. Il exhortait aussi les populations à faire montre de générosité envers les moines.
Un jour qu’il demanda aux moines de l’accompagner en vue de dispenser l’enseignement, certains refusèrent de le suivre. Cette réponse lui inspira une violente colère.
« Vous êtes semblables à des sauvages, à des dragons que nul ne peut apprivoiser », leur lança-il.
Ce moine se sentit incapable de mettre un terme à sa colère, et durant cinq cents vies, il ne cessa de s’incarner en serpent ou en dragon, sans pouvoir jamais se départir du sentiment qui le dévorait obstinément. Aujourd’hui, alors qu’il est devenu un être humain, il ne s’est toujours pas lavé de cette mauvaise habitude. Subhuti était le nom de ce moine, et s’il avait eu la possibilité de rencontrer le Bouddha, c’était pour avoir, par le passé, sensibilisé tant de monde au dharma. »
Les disciples du Bouddha, ayant écouté, comprirent de quelle manière la loi du karma s’était appliquée au cas de Subhuti : ceux qui répandent la générosité sans jamais se mettre en colère sont ceux qui, le plus vite, parcourront le chemin de la bouddhéité.
Le tout prochain disciple de Shakyamuni à devenir un bouddha sera donc Ananda, attendu que c’est un disciple d’une vaste générosité, d’une grande disponibilité et dont le visage affiche un invariable sourire.
Voilà pourquoi il deviendra un bouddha avant les autres.
AMITOFO